L’ophtalmologie du cochon d'Inde

par Dr Didier BOUSSARIE

L'oeil du cochon d'Inde

L’ instrumentation du vétérinaire

En raison de la taille réduite des yeux, les instruments classiques d’ophtalmologie (tonomètre, ophtalmoscope) sont d’utilisation difficile pour le vétérinaire. Par contre les systèmes grossissants et l’ophtalmoscope indirect sont utiles.

La détection des pathologies

  • le déficit visuel est difficile à objectiver chez le cobaye
  • les différents tests classiquement utilisés chez les carnivores domestiques (réflexe de clignement à la menace, placer visuel, parcours d’obstacles) sont difficilement réalisables et interprétables chez le cobaye
  • les anomalies intraoculaires sont également difficiles à détecter en raison de la petite taille de l’œil et de la couleur noire de l’iris chez toutes les variétés non albinos

La structure de l’œil et des annexes chez le cobaye

  • elle est très comparable à celle des autres Mammifères
  • l’œil du cobaye est adapté à une vision en faible luminosité grâce à :
    • une cornée de grande taille
    • une rétine riche en bâtonnets
    • un cristallin volumineux (les 2/3 du globe oculaire, ce qui est considérable)
    • une chambre antérieure réduite
    Conséquence : le cobaye est gêné par une lumière vive, il préfère une lumière plus tamisée
  • l’iris est marron (sauf chez les sujets albinos), la pupille est ronde
Région orbitaire du cobaye. D'après Popesko, 1990.
1 : globe
2, 3, 4, 5, 8 : Muscles de l'oeil.
20 : glande salivaire zygomatique
21 : muscle temporal.
22 :glande lacrymale.
  • la glande lacrymale (22) et la glande salivaire zygomatique (20) sont volumineuses
  • la vascularisation rétinienne est de type anangiotique (absence totale de vaisseaux rétiniens) ou de type paurangiotique: les vaisseaux rétiniens sont pratiquement absents, seules sont présentes quelques boucles vasculaires adjacentes au nerf optique
  • la membrane de Bowman * est absente au niveau de la cornée
    * La membrane de Bowman ou lame limitante antérieure de la cornée est une couche de collagène située dans la cornée, entre la membrane basale épithéliale et le stroma. Elle est présente chez l’homme et les carnivores domestiques
  • Sinus sous-orbitaire du cobaye. D'après Popesko, 1990
  • 20 & 33 : sinus veineux sous orbitaire.
  • il existe un sinus veineux rétro-orbitaire bien développé. Il en résulte deux conséquences importantes
    • la possibilité pour le vétérinaire d’effectuer, de préférence sous anesthésie gazeuse, un prélèvement de sang avec un tube microcapillaire à l’angle interne de l’œil. Ce prélèvement suppose une bonne expérience de la part du vétérinaire, en raison du risque de choc hypovolémique
    • des risques d’hémorragies graves lors d’énucléation sans précaution particulière et sans expérience particulière du vétérinaire
    • la membrane nictitante (ou 3ème paupière) est vestigiale chez le cobaye. Le recouvrement chirurgical de la cornée, réalisé par le vétérinaire notamment par exemple lors d’ulcère cornéen ou de plaie d’origine traumatique chez le chien ou le chat, sera est donc techniquement impossible chez le cobaye.
  • La vision : le cobaye a une mauvaise vue

    Lire l'article : l'univers sensoriel du cobaye

    L’œil est physiologiquement exorbité

    donc exposé aux traumatismes et à la dessiccation (dessèchement de l’oeil).
    Conséquences pratiques :
    • Lors d’un hématome ou d’un abcès rétro-orbitaire ( situé en arrière de l’œil), l’exophtalmie secondaire entraîne rapidement une dessiccation cornéenne par défaut de fermeture des paupières.

    Attention aux collyre chez le cochon d'Inde !!

    La mise en place d’un traitement ophtalmique local doit tenir compte du passage possible de molécules potentiellement toxiques dans la circulation générale en raison de l’existence du sinus veineux rétro-orbitaire (schéma 2). Ceci est particulièrement vrai pour les collyres contenant des antibiotiques, des corticoïdes ou des anti-inflammatoires dont l’utilisation incontrôlée peut avoir des conséquences graves voire mortelles.

    PRINCIPALES PATHOLOGIES DE L’ŒIL

    Il faut savoir que 45 % des cobayes présentent une anomalie oculaire (Williams, 2010)
    cataracte17 %
    sclérose nucléaire et autres lésions cristalliennes subcliniques24 %
    conjonctivites4,7 %
    kératites3,6 %
    dépôts lipidiques conjonctivaux2,3 %
    prolifération osseuse ectopique des corps ciliaires0,8 %

    L’ophtalmologie est donc un motif fréquent de consultation chez le vétérinaire
    Photo 2 : Conjonctivite bactérienne (Bordetella bronchiseptica )très avancée

    Les conjonctivites chez le cochon d'Inde

    On appelle conjonctivite une inflammation de la conjonctive.

    Les conjonctivites d'origine infectieuse


    La conjonctivite granulomateuse à inclusions due à Chlamydophila
    Germes responsables : Chlamydophila psittaci, Chlamydophila caviae
    Photo 3 : Conjonctivite granulomateuse très avancée.

    Il existe 50 % de formes inapparentes (les « porteurs sains »)
    La transmission se fait par contact direct ou par la contamination d’une portée par la mère en raison d’un portage génital (elle touche les jeunes âgés d’une semaine à 2 mois)
    Les signes cliniques sont représentés par une conjonctivite avec un œdème conjonctival (chémosis), un écoulement oculaire séreux ou séro-muqueux et une hyperplasie des follicules lymphoïdes Les symptômes régressent ou disparaissent spontanément en 3 à 4 semaines dans la plupart des cas. Mais certains cas plus graves persistent et sont à l’origine de granulomes conjonctivaux (Photo 3) dont il faut parfois réaliser l’exérèse chirurgicale, ou se compliquent d’une atteinte oculaire plus importante pouvant entraîner la perte de l’oeil. (uvéite* : Photo 4 , panophtalmie**:Photo 5)
    Le diagnostic est assuré par la réalisation d’un frottis conjonctival qui permet d’observer, en phase aiguë de la maladie et après coloration spécifique au Giemsa, des inclusions chlamydiennes typiques dans le cytoplasme
    Photo 4 : Uvéite (inflammation de l'iris.)
    Photo 5 : Abcès intraoculaire et panophtalmie (atteinte généralisée et irréversible de l'oeil).

    Les cellules épithéliales. Mais le diagnostic est essentiellement réalisé en pratique par la technique dite PCR (laboratoire Scanelis)Le traitement est réservé aux cobayes en mauvais état : collyre à base de tétracycline, doxycycline et vitamine C par voie générale. Le vétérinaire est seul juge de la molécule, de la fréquence et de la posologie.

    Les autres conjonctivites bactériennes


    Ces conjonctivites (photo 2) sont associées à une infection des voies respiratoires supérieures , et parfois à une otite.
    Les germes les plus souvent rencontrés sont : Bordetella bronchiseptica, Streptococcus pneumoniae, Klebsiella pneumoniae, Pasteurella multocida, Mycobacterium sp, Staphylococcus sp.

    Les conjonctivites d’origine nutritionnelle :


    la cause en est une carence en vitamine C, primitive ou secondaire à une affection intercurrente.
    les signes cliniques associés sont évocateurs : poil piqué, douleurs articulaires, crottes molles, hémorragies, écoulements oculaires séro-muqueux et épais
    le traitement : vitamine C administrée pure à la seringue, nettoyage des yeux et entretien physiologique de l’œil à l’aide de produits adaptés lotions oculaires
    Voir >> Hypovitaminose C du cochon d'Inde

    Les kératites chez le cochon d'Inde


    On appelle kératite une inflammation de la cornée.
    Les kératites sont fréquentes et elles accompagnent les conjonctivites. Elles peuvent se compliquer d’ulcères cornéens (photo 6) (test fluorescéine +) ou d’un abcès du stroma cornéen ( photo 7 ) .
    Le traitement est médical : collyre antibiotique , collyre cicatrisant ou chirurgical selon la profondeur de l’érosion.
    Photo 6 : Ulcère cornéen étendu de l'angle externe de l'oeil associée à un oedème de la cornée.
    Photo 7 : Kératite et abcès du stroma cornéen.

    Les blépharites mycosiques


    On appelle blépharite une inflammation de la paupière.
    l’ agent responsable : un champignon appelé Trichophyton mentagrophytes (photo 9) dans la majorité des cas, Microsporum canis plus rarement.
    les signes cliniques évocateurs : dépilations croûteuses à caractère inflammatoire et à contours plus ou moins réguliers sur les paupières de jeunes cobayes, donnant parfois un aspect de lunettes
    le traitement efficace : repose sur un traitement général antimycosique administré par voie orale, et sur la vitamine C à forte dose pendant une durée courte de 15 jours. Les traitements locaux sont difficilement applicables au niveau des paupières
    Photo 8 : Blépharite mycosique.
    Photo 9 : Teigne de la paupière supérieure. Trichophyton mentagrophytes.

    La métaplasie osseuse du corps ciliaire


    Cette affection est spécifique au cochon d’Inde.
    Elle se rencontre parfois sur les sujets âgés.
    Elle se traduit par l’apparition d’un anneau blanchâtre en périphérie de l’iris (photo 10). L’envahissement par ce tissu anormal est parfois considérable. Cette affection est due pour certains auteurs à une hypervitaminose C.
    Il n’y a malheureusement pas de traitement efficace.
    Photo 10 : Métaplasie osseuse du corps ciliaire.

    La calcification de la cornée : (ou de la sclère)


    Elle accompagne un état global général de calcinose (dépôts de calcium dans les reins, le foie, les veines et artères, …) et son origine est nutritionnelle : excès de calcium d’origine alimentaire (photo 1).
    Photo 1 : Kératite ulcéreuse et dépôts calciques. Test à la fluorescéine positif.

    La protusion de la glande lacrymale ou zygomatique


    cette protusion appelée également protusion conjonctivale ventrale ou « pea eye » et « fatty eye » par les anglo-saxons, se présente sous l’aspect d’une nodule masse de couleur rosée en saillie dans le cul de sac conjonctival inférieur. Elle s’accompagne d’un à l’origine d’un ectropion secondaire (éversement de la paupière inférieure vers le bas.). Cette affection est rare.
    le traitement est chirurgical en cas de kératite d’exposition (irritation de la cornée par la masse nodulaire ).
    Protusion conjonctivale (« pea eye ») de la glande lacrymale

    Les autres affections


    Ces affections sont citées pour mémoire, elles sont rares voire très rares en pratique
    • l’hypovitaminose A : kératite, xérophtalmie
    • la cataracte ; associée à un diabète ou provoquée par une carence en tryptophane. Une origine génétique est aussi suspectée.
    Photo 11 : Cataracte nucléaire

    LES EXAMENS COMPLEMENTAIRES DU VETERINAIRE

    • la mydriase (dilatation pupillaire) est difficile à obtenir par l’atropine chez les cobayes (et notamment chez les cobayes non albinos) en raison d’une forte concentration en pigments mélaniques de l’iris chez ces variétés. Or ces pigments mélaniques fixent l’atropine donc neutralisent partiellement et temporairement ses effets. L’instillation répétée (3 à 4 fois en 15 minutes) d’atropine à 1% ou mieux de tropicamide à 5% associée à la phényléphrine à 10% est nécessaire pour obtenir une mydriase rapide mais elle devra être utilisée avec précaution car elle peut avoir des effets systémiques catastrophiques (arrêt du transit digestif)
    • le test à la fluorescéine (photo 1 ) est un test important : il est utilisé pour le diagnostic des ulcères cornéens et le contrôle de la perméabilité des canaux naso-lacrymaux. La fluorescéine est un colorant utilisé pour la détection des sources. Elle a la particularité de colorer en vert les ulcères cornéens.
    • le test de Schirmer mesure la sécrétion lacrymale par capillarité. Il donne toujours des valeurs faibles, inférieures à 5mm/minute. Le fil coloré en rouge fuschine par imprégnation lacrymale (Vet test, des Laboratoire TVM) est très pratique d’emploi chez le cobaye. Ce test est important car un manque de sécrétion lacrymale se traduit par un dessèchement de la cornée, une sécrétion purulente puis par une ulcération cornéenne.
    • la tonométrie (mesure de la tension oculaire) est théoriquement réalisable, mais avec comme facteur limitant la petite taille de l’œil des cobayes. On peut utiliser un tonomètre dit de Schiötz mais l’idéal est de disposer d’un appareil beaucoup plus coûteux appelé Tonopen. La pression intraoculaire normale du cobaye étant mal définie, cet examen est en définitive d’un intérêt très limité.
    • la cytologie conjonctivale permet une orientation diagnostique. Elle renseigne sur l’aspect des cellules de la conjonctive. L’écouvillonage conjonctival associé permet aussi la réalisation d’analyses bactériologiques ou d’une recherche PCR (pour les Chlamydia).


    Dr Didier Boussarie
    Vétérinaire
    Consultant NAC Exclusif

    © Didier Boussarie - CobayesClub

    Bibliographie
    1. BOUSSARIE D., RIVAL F. Médecine et chirurgie du cochon d’Inde. Ed. Vetnac, 2017.
    2. RIVAL F. Atlas d’ophtalmologie des nouveaux animaux de compagnie. Ed. Vetnac, 2007
    3. BOUSSARIE D. Médecine des NAC. Ed. Med’Com, 2002, 223 p.
    4. BOUSSARIE D. Mémento thérapeutique des NAC. Ed. Med’Com, 2003, 152 p.
    5. KIRSCHNER S.E. Ophtalmologie disease in small mammals. In : Hillyer E.V., QUESSENBERRY K.E., Ferrets, rabbits and rodents clinical medecine and surgery. Ed. Saunders, p. 339-345.
    6. RIVAL F. Atlas d’ophtalmologie des nouveaux animaux de compagnie. Ed. Vetnac, 2007.
    7. WILLIAMS D. Ocular disease in the guinea pig (Cavia porcellus) a survey of 1000 animals. Veterinary Ophtalmology 2010, Supp. 13, p. 54-62., 2010)